Le Magasin Pittoresque.

Le Journal/Lundi 25 décembre 1911.

Le crime de la rue Ordener.

Le crime de la rue Ordener serait l'oeuvre d'une bande internationale.

C'est un imbroglio bien difficile à démêler que l'affaire de la rue Ordener. On se trouve en présence de témoignages souvent contradictoires sur lesquels il est vraiment malaisé d'aiguiller les recherches. Et, d'autre part, certaines coïncidences paraissent troublantes. Tel est le cas de la piste Ravera, dont nous avons parlé hier. Il est évident qu'en l'absence d'éléments précis d'enquête, des présomptions singulièrement graves pèsent sur cet Italien, recherché par la police. Dans le quartier des Menus, à Boulogne-sur-Seine, on ne s'entretient, bien entendu, que de l'événement.

Quartier curieux, par excellence, où grouille une population cosmopolite, composée surtout de sujets transalpins. Dans les auberges enfumées, toutes les langues étrangères y sont échangées. La police a constamment l'œil sur ce pâté de vieilles maisons, car l'on s'y bat souvent.
Parfois, des voleurs appartenant à des bandes internationales viennent chercher un refuge discret aux Menus. Ils sont assurés d'y rencontrer des compatriotes - quelquefois des complices. Ravera se croyait en sécurité dans cette cour des Miracles.
On le connaissait, on était fixé sur son genre d'existence. Mais personne n'aurait osé le dénoncer.

Un de ses camarades, du nom de Pascal della Corna, Italien comme lui, est également recherché par le commissariat de police de Boulogne, beau garçon, toujours élégamment mis, bien qu'on ne connût pas l'origine de ses ressources, ce personnage énigmatique a plusieurs histoires sur la conscience.
Condamné maintes fois pour vol d'autos et de pneumatiques, Pascal della Corna se vit expulser de Boulogne. Mais on n'abandonne pas ainsi la rues des Menus. Avant-hier encore, on l'aperçut qui rôdait dans les parages. Sa capture pourrait peut-être être précieuse pour ceux qui cherchent à percer le mystère de la rue Ordener.
Quoi qu'il en soit, on demeure assez déconcerté devant la répétition de certains témoignages concordants dans les récentes affaire criminelles.
Le cambriolage de la malle des Indes ? On croit avoir aperçu des Italiens le long de la voie ferrée à Dijon.

L'auto maquillée de Melun dont l'énigme reste encore à dissiper ? C'est aussi un Italiens qui assassina un de ses compatriotes sur la grand route.
Le courtier en bijoux dévalisé dans la rue Mouffetard ? Les quatre bandits auxquels il eut affaire paraissent être bien également du même pays.
La tentative d'assassinat sur le garçon de recettes de la rue Ordener révèle des détails identiques.
Si l'on ajoute que la plupart des individus arrêtés ou soupçonnés habitent Montmartre ou possèdent des ramifications étranges dans les alentours, on ne peu s'empêcher d'hésiter avant de déclarer invraisemblable l'existence d'une vaste bande internationale responsable de tous ces exploits fantastiques.

L'état de M.Gaby.

En se présentant hier matin à l'hôpital Bichat, Mme Gaby eut la satisfaction d'apprendre que l'état de son mari s'était encore sensiblement amélioré.
Nous nous trouvions précisément au chevet du blessé quand l'excellente femme arriva. Le garçon de recette dégustai tranquillement un œuf à la coque, arroser d'un petit verre de bordeaux.
C'est le premier repas que nous lui permettons, dit l'infirmière. S'il est bien sage, tout ira bien dans quelques jours.
C'est également l'avis du professeur Hartmann. Il attend que la fièvre soit complètement tombée avant de procéder à l'extraction des deux balles reçues par le malheureux, l'une au-dessus du poumon droit et la seconde derrière le cou, près de la colonne vertébrale.
Aucun organe essentiel n'étant atteint, on peut tout espérer de la vigoureuse santé de M.Gaby. Ce dernier n'a qu'une pensé fixe : l'arrestation de ses agresseurs.
Il ne passe pas une demi-journées sans demander des nouvelles des recherches entreprises par la police.
- Ah ! si je les tenais, s'écrie-t-il.
M.Dupuis, commissaire de police de Grandes-Carrières, recevra sans doute bientôt sa déposition, maintenant que le blessé peut parler sans grande difficulté.
Dans l'après-midi, on a changé M.Gaby de salle, afin qu'il ne fût pas fatigué par les visites nombreuses du dimanche.

L'enquête à Rouen et à Dieppe.

Rouen, 24 décembre. (Par dépêche de notre correspondant particulier.) Dieppe, aucun fait nouveau n'a été établi par l'enquête. La police de Rouen a reçu l'ordre de procéder à toutes investigation en vue de retrouver la trace des cinq agresseurs du garçon de recette Gaby. On semble persuadé aujourd'hui qu'il n'ont pas pris passage à bord du paquebot en partance pour Newhaven.
D'autre part, il est certain qu'ils n'ont pas passé la nuit dans un hôtel de Dieppe. On se demande s'ils ne seraient pas retournés dans la direction de Paris par le train de marée de la même nuit et descendus à Rouen, pour se diriger ensuite soit sur Paris, soit sur le Havre.