Le Magasin Pittoresque.

Les voix ensevelies. / Un évènement prévu de longue date !

 

Le 23 décembre 1907 a eu lieu dans les souterrains de l'Opéra de Paris l'inhumation de 24 disques ainsi que d'un gramophone pour les écouter.

Leur résurrection étant prévue dans cent ans.

Le compositeur français Gabriel Fauré était présent.

Si aucun obstacle n'a depuis ce jour condamné le projet , l'événement devrait avoir lieu en principe en décembre 2007.

Nous livrons ici l'information telle que nous avons pu la découvrir dans le N° 65 de la revue Musica , de février 1908.

Les voix ensevelies.

Le 23 décembre a eu lieu dans les souterrains de l'Opéra une cérémonie étrange où furent inhumés 24 disques de gramophone dont la résurrection, si nous pouvons ainsi dire, n'aura lieu que dans cent ans. M.Charles Malherbe, l'éminent archiviste de l'Opéra, commenta, dans un éloquent et charmant discours, cette solennité si originalement scientifique. Nous donnons le passage essentiel de son discours.

 

Après avoir raconté la visite que lui fit, à la bibliothèque de l'Opéra, M.Clark, directeur de la Société du Gramophone à Paris, sa généreuse proposition d'offrir un appareil et des disques enfermés dans une boite scellée dont la clef restera dans les archives de la bibliothèque et qu'on ouvrira dans cent ans ; après avoir énuméré les difficultés de l'entreprise, comme exemples, d'épargner aux disques l'action destructive du temps, M.Charles Malherbe continue en ces termes : La science veillait, la science représentée par un chimiste distingué, M.Bardy, qui, s'attaquant au problème, a su le résoudre….
Il vous intéressera de savoir que les disques sont disposés de manière à ne pas être en contact immédiat les uns avec les autres ; le poids résultant de la superposition aurait pu, avec le temps, altérer la fine gravure qui représente ce que j'appellerai le tracé sonore, et compromettre ainsi l'exécution future. De plus entre ces plaques isolées, il fallait empêcher l'introduction de l'air. L'air est l'ami de tout ce qui respire ; il est l'ennemi de tout ce qui ne vit pas ; il est le grand destructeur par excellence, si subtil qu'il se glisse en les coins les plus étroits, si obstiné qu'on a beau le chasser par la porte il trouve toujours le moyen de revenir par la fenêtre. Il fallait donc soustraire les objets à son action délétère, et l'on a construit une petite boîte en cuivre, ce métal se laissant moins pénétrer que les autres; dans cette boîte on fait le vide, et l'on dresse contre tout retour offensif la barrière d'une soudure. Le précieux objet prend place dans une seconde boîte que l'on soumet à une opération analogue, en ayant soin que les soudures de l'une ne fassent pas vis-à-vis aux soudures de l'autre, afin d'éviter l'action directe de l'air, dans le cas où quelques atomes pousseraient l'indiscrétion jusqu'à forcer la consigne qui les éloigne. Notons aussi que les disques sont établis avec des matières résineuses, et que trop de sécheresse peut leur nuire ; alors vous devinez l'action bienfaisante que doit exercer sur eux un séjour prolongé dans les caves de l'Opéra ; la privation de lumière et d'air contribuera certes au bon état de leur santé.

La cave de l'Opéra où sont ensevelis, pour cent ans, 24 disques de gramophone.

 

 

C'est donc ici qu'ils vont reposer pour un siècle. Entre deux piliers, un mur a été construit et, dans l'intervalle, des casiers métalliques ont été disposés de manière à recevoir les caisses de disques, à mesure qu'elles nous parviendront. Car le généreux donateur qui a pris à sa charge tous les frais de l'entreprise ne se contente pas d'un premier cadeaux : il en promet d'autres ; il veut que , lorsqu'un progrès aura été réalisé, le témoignage en soit apporté ici, et que ces armoires se garnissent afin d'aboutir à ces deux résultats pour nos descendants :
1° / Montrer quel était l'un des aspects de la musique au XXe siècle, ce que chantaient et comment chantaient les principaux artistes de notre Opéra ;
2°/ Montrer quelle aura été la marche ascendante d'une des inventions les plus géniales de ce temps, en suivant, pour ainsi dire, pas à pas, les progrès pendant une centaine d'années.
Un parchemin spécial donnera, bien entendu, la liste détaillée de tous les morceaux contenus dans les caisses, et toutes les indications nécessaires pour mettre en mouvement la machine et ses accessoires, puisque, au cours d'un si long espace de temps, bien des détails, se seront forcément modifiés, et il importe que les ouvriers d'alors, munis des outils nouveaux, ne soient pas embarrassés pour manier ceux que l'âge aura plus ou moins démodés.
A cette liste une autre sera jointe, où se liront les noms de ceux qui ont contribué à la réussite de l'entreprise et en deviennent les véritables parrains. Alors, on les remerciera, comme j'ai l'honneur de les remercier ici .

Charles Malherbe.

 

Puis M.Charles Malherbe remercia MM. Aristide Briand, alors ministre de L'Instruction publique

 

 

Les opérateurs disposent dans une urne, où le vide est fait, 12 disques de gramophone.

Epilogue : BnF / Les Voix Ensevelies.